Diagramme des causes de mortalité au sein de l’armée en Orient

février 2023

A son retour de la guerre de Crimée, en 1856, l’infirmière en chef Florence Nightingale conçoit un graphique représentant le nombre de morts au sein de l’armée anglaise, et ce dans le but de mettre en lumière l’importance des conditions sanitaires dans les hôpitaux militaires. Sa dataviz, aujourd’hui célèbre, aura un impact majeur sur l’approche du soin hospitalier au Royaume-Uni, mais également sur la façon de représenter des données. 

Entre 1854 et 1856 s’est tenue la guerre de Crimée, conflit militaire qui opposa la Russie à une coalition formée par l’Empire ottoman, le Royaume-Uni, l’Empire de Napoléon III et le royaume de Sardaigne. Les pertes humaines furent gigantesques : on dénombre près de 700 000 morts tous camps confondus.

La dataviz que nous étudions dans cet épisode représente l’évolution mensuelle des décès au sein de l’armée anglaise lors de la guerre de Crimée, entre avril 1854 et mars 1856. Elle a été conçue par Florence Nightingale, infirmière (et statisticienne) émérite qui travailla à hôpital militaire de Scutari, en Turquie actuelle, pendant la guerre.

Diagram of the causes of mortality in the army in the East

La dataviz de Nightingale est composée de deux graphiques. Chaque graphique est divisé en douze secteurs d’angle équivalent, et chaque secteur représente le nombre de mort sur une période d’un mois.  A la frontière entre le diagramme circulaire et l’histogramme, ces graphiques seront baptisés par leur auteure Coxcomb Charts, que l’on peut traduire en français graphiques crête de coq, de par leur forme qui n’est pas sans rappeler celle du gallinacé.   

Les deux graphiques sont reliés par un trait, indiquant la continuité temporelle de ces derniers. Le graphique de droite couvre la période d’avril 1854 à mars 1855 tandis que celui de gauche couvre la période d’avril 1855 à mars 1856. Ils sont accompagnés d’une légende textuelle, qui nous apprend que les couleurs utilisées indiquent la cause du décès des soldats:

  • En bleu: les morts de maladies infectieuses telles que le typhus ou le choléra,
  • En rouge: les morts de blessures,
  • En noir : les morts d’autres causes. 

Durant son séjour à l’hôpital militaire de Scutari, Florence Nightingale luttera pour améliorer les conditions sanitaires de l’établissement, persuadée que les pertes humaines sont davantage dues à la propagation de maladies infectieuses qu’aux blessures, et que la propagation de ces maladies est favorisée par les mauvaises conditions sanitaires. En parallèle de son travail d’infirmière, elle organisera la récolte des données permettant de réaliser sa désormais célèbre dataviz et ainsi prouver sa théorie. 

Le graphique montre en effet que la première cause de mortalité dans l’armée du Royaume-Uni est la propagation de maladies infectieuses, la couleur bleue est largement dominante sur les deux graphiques. 

Ce que l’on remarque cependant, c’est qu’au fil des mois, la part relative des morts de maladies infectieuses par rapport aux autres causes de décès diminue. A partir de juin/juillet 1955, la différence entre le volume de morts de maladies infectieuses et le volume de morts de blessures diminue progressivement. En septembre 1955, et pour la première fois depuis le début de la guerre, la situation s’inverse : les décès causés par les maladies infectieuses sont moins nombreux que ceux résultant de blessures. 

La dataviz imaginée par Florence Nightingale est novatrice et véhicule extrêmement bien le message qu’elle souhaitait transmettre. Son interprétation exacte demande néanmoins de clarifier certains points.

 

Empilé or not empilé, telle est la question

Prenez quelques secondes pour répondre à cette question, en vous basant sur le graphique : le nombre de morts a-t-il augmenté ou diminué entre août et septembre 1854 ? 

La réponse : il a augmenté, et ce malgré le fait que le secteur de septembre soit plus petit que celui d’aout. Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit pas d’un graphique empilé comme nous pourrions le croire de prime abord. En réalité, chaque secteur/mois est composé de trois portions (une par cause de décès), qui sont superposées les unes au-dessus des autres, et toujours dans le même ordre : bleu, noir, rouge. Ainsi, il y eut moins de morts de maladies infectieuses en septembre que le mois précédent, mais il y eut davantage de morts de blessures et d’autres causes de sorte que le nombre total de mort est supérieur en septembre.

Ainsi, la hauteur de chaque secteur ne représente pas le volume total de morts par mois, ce qui rend difficile la comparaison du volume total de morts par mois, mais facilite la lecture de l’évolution des morts par type de cause (car on part à chaque fois de la même base, l’épicentre du graphique). Or c’était ce qu’elle cherchait à montrer. 

 

Représentation (liné)aire ?

L’autre question que nous nous sommes posés en analysant ce graphique est la suivante : le volume de morts, pour un mois et une cause de décès donnés, est-il représenté par la hauteur de la portion ou par son aire ?  

Si c’est la première solution qui fut retenue par Florence Nightingale, elle présente un biais dans l’interprétation des données. En effet, toute augmentation de valeur est visuellement amplifiée du fait de largeur qui de la portion qui augmente également. Ainsi, si le nombre de mort a doublé, je double la hauteur de ma portion, mais visuellement ma portion aura plus que doublé.  Florence Nightingale aurait pu adopter cette approche, tout en connaissant le biais en résultant, dans le but d’amplifier visuellement le nombre de morts de maladies infectieuses par rapport aux autres causes de décès et donc servir son propos. Après étude des données brutes, disponibles en ligne, nous sommes en mesure d’affirmer qu’elle ne tomba pas dans la facilité et adopta l’approche la plus rigoureuse et honnête (mais aussi plus complexe), qui consiste à représenter le volume de mort par l’aire de la portion, et non juste sa hauteur. 

Bonus : la dataviz de Nightingale réinterprétée par SPALLIAN

A partir des données de la dataviz (qui sont disponibles en ligne) et de Microsoft Excel, nous avons proposé une autre façon de visualiser le nombre de morts par cause de décès au sein de l’armée anglaise :

 

Nous avons représenté les données au sein d’un graphique à aires empilées. Comme son nom l’indique, il s’agit d’un graphique empilé : la hauteur de chaque point représente le volume total de morts chaque mois (et on voit bien que le nombre de morts a augmenté entre août et septembre 1854). 

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